Objets numériques : scandaleuses pratiques de travail d’enfants

Les appareils numériques qui peuplent notre quotidien nous offrent la possibilité de nous divertir, de communiquer, de nous informer, de créer, de travailler, etc., Super, c’est le progrès ! Un progrès… pas pour tout le monde.

Par Élisabeth Baton-Hervé

Nous avons pour habitude de nous concentrer sur l’enfant devant l’écran, mais que se passe-t-il avant qu’il ait reçu sa petite machine numérique ? Que se passe-t-il ensuite lorsqu’elle devient obsolète ? Cet article se propose d’élargir le champ de notre réflexion pour examiner d’un peu plus près la réalité de l’industrie du numérique dans ses phases de production, de consommation, jusqu’à l’étape finale de l’objet-déchet, avec la question centrale de la place et de la condition des enfants dans ce circuit ?

Ce détour est nécessaire, voire urgent, car dans le contexte d’une économie mondialisée et d’une industrialisation de produits high-tech de même envergure, la consommation des pays riches doit pouvoir également ne plus considérer le seul usage immédiat de ces technologies numériques, mais embrasser également les conditions de leurs productions aussi bien que leur fin, à savoir, les déchets qu’elles finissent toujours par devenir. C’est toute la démarche déployée par Fabien Lebrun dans son dernier ouvrage « On achève bien les enfants » : « La destruction des enfants par les écrans est réelle, concrète et visible en amont et en aval du cycle de production, c’est-à-dire de leur conception, des minerais extraits de terre, éléments matériels des écrans, à la transformation (métallurgie, raffinerie), leur assemblage, leur finition et leur commercialisation, leur consommation et leur utilisation, jusqu’à leur destruction et leur disparition, c’est-à-dire en tant que déchets aussi bien concrets que réels » (p. 152).

Ce smartphone, entre nos mains, deviendra très vite obsolète…

Remontons le cycle de production de nos appareils tant convoités. Ce smartphone, entre nos mains, deviendra très vite obsolète (obsolescence programmée), cela d’autant plus que la 5G s’impose déjà aux consommateurs que nous sommes. Or, « La production de déchets électriques et électroniques dans le monde (DEEE) représente 53,6 millions de tonnes, l’équivalent d’environ 1,7 t par seconde et de 7,3 kg par personne en moyenne et par an. » selon le site Planétoscope. Pour Fabien Lebrun, « 60 à 80 % de ces déchets sont gérés de manière opaque et envoyés illégalement des pays riches vers les pays pauvres » (p.154). Ces pays receveurs de nos déchets sont : la Chine, l’Inde, le Nigéria, le Ghana, pour ne citer que ceux-là. Or, sait-on que beaucoup d’enfants travaillent dans ces vastes décharges à ciel ouvert dans des conditions extrêmement périlleuses pour leur santé. Agbogbloshie, au Ghana, est l’une de ces décharges (lire, à ce sujet l’article fort instructif de Antonella Sinopoli (voir ci-dessous). Notons au passage que la France détient le triste record d’être le plus grand émetteur au monde de déchets électroniques avec plus de 20 kg par personne ! Au niveau mondial, ces déchets ont augmenté de plus de 21 % en 5 ans ! (greenIT.fr source « The Global E-Waste Monitor 2020 »).

Nos enfants, accros à leurs écrans, savent-ils que leurs pairs d’autres pays travaillent en nombre dans des usines sous-traitantes des grandes marques qui se disputent le marché occidental. L’une d’elles, l’usine LCE, située en Chine, est même dite « l’usine des enfants ». De jeunes mineurs (ayant parfois moins de 14 ans) travaillent sur les chaines de montage, des heures durant, pour un salaire de misère et dans des conditions souvent inhumaines.

Mais l’exploitation des enfants ne s’arrête pas là. Batterie, écran, électronique, coque de nos gadgets électroniques, conçus par les ingénieurs de la Silicon Valley, nécessitent l’utilisation de métaux rares (cobalt, lithium, cuivre, tantale, coltan…). Le Congo (RDC) est un des grands fournisseurs de ces métaux. Dans un rapport publié en 2015, Amnesty International révèle les conditions périlleuses dans lesquelles des enfants parfois très jeunes (7 ans) contribuent à extraire ces minerais.

« Les vitrines des boutiques chics et le marketing des technologies de pointe contrastent vivement avec les enfants ployant sous les sacs de roches et les mineurs s’affairant dans les étroits tunnels qu’ils ont creusés, exposés au risque de contracter des affections pulmonaires permanentes. Des millions de personnes bénéficient des avantages des nouvelles technologies, sans se préoccuper de la manière dont elles sont fabriquées. Il est temps que les grandes marques assument leur part de responsabilité dans l’extraction des matières premières qui rendent leurs produits si lucratifs. » (Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International).

C’est évident, réduire le temps passé par nos enfants sur leurs écrans est un préalable incontournable pour garantir leur bien-être et leur santé. Mais, informer largement sur les scandaleuses pratiques de travail d’enfants en amont et en aval de la vie des objets numériques peut, non seulement contribuer à donner du sens à la réduction du temps-écran, mais également sensibiliser le consommateur occidental. Nous, consommateurs, détenons le pouvoir de faire pression sur les décideurs politiques et d’influer les orientations et décisions des grandes firmes internationales qui se partagent le vaste marché du numérique. Comment ? Quelques pistes…

  • Ne pas céder aux sirènes du marketing, lesquelles, par leurs « offres » et promesses aguichantes, font pression pour encourager à l’acte d’achat
  • Au contraire, prolonger au maximum la durée de vie de nos appareils
  • Viser le reconditionnement plutôt que l’achat de matériel neuf
  • Penser réparation
  • Privilégier l’équipement écolabel
  • Soutenir les démarches qui visent le respect de la convention internationale des droits de l’enfant : L’article 32 de la Convention internationale des droits de l’enfant indique que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de  compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social », voir à ce sujet le site de l’UNICEF.
  • Soutenir et relayer les actions des ONG, notamment celles de Amnesty international et