Deux actionnaires d’Apple, Jana Partners LLC et le fonds de pension des fonctionnaires de l’enseignement en Californie, demandent à la société américaine de développer des outils de contrôle parental adaptés aux iPhone. Ils s’inquiètent en effet d’une addiction des enfants et adolescents à ces appareils et réclament au fabricant une étude sur le sujet.
Les adolescents sont conscients de leur dépendance
Anne Cordier
Maîtresse de conférences en science de l’information et de la communication à l’université de Rouen (1)
Je pense qu’il faut différencier l’addiction, au sens médical du terme, d’une dépendance plus générale à la technologie. En l’occurrence, on peut dire que les adolescents, comme les adultes, sont dépendants de la technologie. Elle n’est pas plus forte chez les uns que chez les autres. Le rapport au téléphone, et plus généralement à la technologie, nous concerne tous. J’en veux pour preuve deux illustrations : la nécessité, souvent exprimée ces derniers mois, de réguler l’utilisation du téléphone et des mails professionnels lorsque l’on est dans la sphère privée (ce que l’on a appelé « droit à la déconnexion ») ; et les mesures de sécurité routière prises pour interdire l’utilisation du téléphone portable au volant, extrêmement accidentogène. Le rapport général à l’objet, comme prolongement de notre propre corps, n’est pas générationnel.
Cela étant dit, cette dépendance à la technologie s’exprime d’une manière différente chez les adolescents et chez les adultes. Par nature, les ados accordent une grande importance à la socialisation. Il est essentiel pour eux de se sentir membres d’un groupe, et les smartphones contribuent à cela. On trouve en effet bon nombre d’applications qui jouent ce rôle et qui sont utilisées par cette population plus jeune. On peut aussi parler d’usages spécifiques du téléphone en fonction de l’âge : chez les adolescents, il joue un rôle prépondérant dans leur rapport à la musique, ou encore dans l’abondance de prises de photos de soi, avec les selfies. En réalité, il s’agit plus d’une dépendance au contenu qu’à l’objet lui-même.
Lorsque je les interroge dans le cadre de mes travaux, il est intéressant d’observer que les adolescents sont de plus en plus conscients de leur difficulté à se détacher de cet objet. Les collégiens constatent la dépendance. Mais les lycéens vont plus loin que le simple constat et élaborent des stratégies pour réguler le problème. Ils peuvent par exemple désactiver les alertes de leur téléphone pendant un temps donné. D’autres décident de le ranger dans une autre pièce lorsqu’ils travaillent, pour ne pas être dérangés.
Il est nécessaire de les amener à cette réflexion, en les invitant à travailler ce rapport avec l’objet : que m’apporte-t-il ? Dissimule-t-il quelque chose, comme une peur d’aller vers les autres ? Mais il faut aussi en voir les aspects positifs : le téléphone est-il un moyen pour moi de rompre une solitude parce que je ne trouve pas dans mon entourage direct des personnes pour échanger ?
Recueilli par Loup Besmond de Senneville
(1) Auteur de Grandir connectés, C & F éditions, 304 p., 25 €.
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Peu importe le média utilisé, ce qui compte, c’est l’usage
Docteur Olivier Phan
Pédopsychiatre, praticien hospitalier exerçant pour la Croix-Rouge et la Fondation santé des étudiants de France (1)
Le problème n’est pas le smartphone lui-même, qui est un vecteur. C’est ce qu’il y a derrière et ce qu’on en fait. C’est un peu comme le moustique et le paludisme. Le moustique est juste le vecteur qui va véhiculer la maladie. Avec ce type d’appareil, vous pouvez avoir quatre types d’activité : jouer, regarder des vidéos, échanger et chercher de l’information sur Internet. Quand un adulte passe ses journées sur son téléphone pour gagner sa vie dans le cadre de son travail, comme un trader, même s’il est accroché à cet outil technologique, on n’est pas dans l’addiction. C’est différent pour un adolescent qui passe son temps à jouer à des jeux vidéo sur son smartphone. Qu’est-ce qui se passe alors pour ses cours, pour ses devoirs, pour ses liens avec sa famille ? Nous recevons ces jeunes en consultation. Mais pour que l’on puisse parler d’addiction dans leur cas, il faut l’association de deux choses : la perte de contrôle et des conséquences néfastes.
Le fait de rester accroché à sa tribu par des SMS ou par les réseaux sociaux via son smartphone est une autre question. Ce n’est pas de l’addiction, cela peut être du harcèlement, et c’est aussi un problème que l’on voit en consultation. Mais je le répète, ne diabolisons pas le smartphone. Peu importe le média que vous utilisez, smartphone, ordinateur ou console, ce qui va compter, c’est l’usage que l’on en fait. Après, il est vrai que le smartphone est plus difficile à contrôler par les parents et plus pratique à utiliser pour un ado. Il va pouvoir jouer avec durant la nuit, dans son lit, ou en cours. Par ailleurs, on sait que plus un individu est fragile, plus il va être soumis à un usage problématique. Un adolescent bien dans sa tête, bien avec ses parents, qui s’intéresse à ses études, pourquoi irait-il passer ses nuits sur un smartphone ?
Pour les plus fragiles, au contraire, cela devient une échappatoire pour fuir une réalité difficile. Ce qui est inquiétant, c’est que même parmi les populations les plus fragiles, on voit des gens qui paient un smartphone dernier cri à leur enfant. Or, il ne faut pas croire qu’un enfant ou un adolescent va pouvoir se contrôler tout seul. L’Organisation mondiale de la santé vient de reconnaître l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie. Mais la lutte est inégale. Il faut 700 millions d’euros pour développer un jeu. Et pour que les éditeurs gagnent de l’argent, il faut que des gens y jouent…
Recueilli par Pascal Charrier
(1) Auteur de Jeux vidéo, alcool, cannabis. Prévenir et accompagner son adolescent, Éd. Solar.